Hommage prononcé à l’Eglise St-Pierre de Jette à l’occasion des funérailles de M. Cubeddu

Maria Grazia
Gianni,
Vincenzo,

Le souvenir, le souvenir !

Voilà un mot doux pour un moment terrible. Et pourtant, en ce jour où un être essentiel disparaît, c’est le souvenir de moments heureux qui ressurgit

Maria Grazia, il y a chez vous une vieille photo en noir et blanc, un peu floue, comme le  bonheur envolé.  On y voit une femme solide et, à ses côtés, un petit garçon. C’est Gianfranco ! Tout proche de sa maman.

Mais ce qui impressionne, c’est qu’il est pieds nus ! Pour lui, à cette époque, pas de chaussures. C’est un luxe que la famille ne peut pas se payer.

Son père croupit injustement à l’Isola degli Asini.

Gianfranco m’en parlait souvent. Il fut profondément marqué par cette période. Par cette terrible iniquité.

Chez lui, comme chez nous tous, c’est dans l’enfance qu’il faut creuser pour trouver la réalité des hommes.

Cette photo, je la vois. Elle résume l’immense effort que Gianfranco a fait pour sortir de cette condition où les évènements l’avaient  plongé.

Dieu sait que, pour lui, le chemin a été difficile depuis le petit véhicule où il vendait des glaces jusqu’à cette Institution que tous les Jettois connaissent qu’est le Capuccino.

Mais je savais combien il aimait, malgré la dureté des temps, ses racines et son village de Seneghe où j’ai eu le privilège de l’accompagner.

Les quelques jours que nous y avons passés ont été merveilleux. Gianfranco nous a fait visiter sa campagne, et, au moment où nous étions dans les bois, où il me montrait ce curieux rocher creux que tous les enfants du coin connaissaient, il en profitait pour cueillir des asperges sauvages qu’on mangerait  le soir avec tous les gens du village.

Cette soirée-là fut, à plus d’un titre, inoubliable.  C’est, pour moi, l’un de mes meilleurs souvenirs où se mêlent la convivialité, la joie de vivre et l’amour de la vie.

J’ai été très impressionné lorsque différents villageois se sont groupés autour de Gianfranco, et se sont mis à entonner de merveilleux chants polyphoniques.

Gianfranco était le leader. Je voyais que chacun reconnaissait son autorité.

Il y eut aussi ce réveillon passé chez Don Pepino qui eut la bonne idée de diffuser, après minuit, Nessun Dorma, de Puccini !  Nous entendîmes alors Gianfranco entonner, de sa voix forte, vibrante, chaleureuse, l’œil brillant d’une volonté farouche, cet hymne magnifique qui se termine par ces mots « Vinceremo », « Nous vaincrons » !

Ce soir là, Maria Grazia, nous étions tous des « Fratelli d’Italia » !

La nuit se prolongeant, de nombreux promeneurs, sur la digue, ont dû être bien étonnés de nous entendre chanter à vive voix « Giovinezza ».  On était loin du « politiquement correct ». Certains, ici, comprendront.

Car Gianfranco était un homme libre qui se fichait d’être, ou non, « politiquement correct ». Il ne se privait pas de dire ce qu’il pensait d’un certain nombre de choses et d’un certain nombre de pratiques.

Comment ne pas rappeler ici les plats qu’il nous préparait avec amour. Non pas des plats d’une cuisine élaborée de restaurant trois étoiles, mais les plats des pauvres gens qui, passant par les mains de Gianfranco, étaient extraordinairement succulents car ils étaient le lien entre lui, son enfance, ses origines, son terroir… tout ce qu’il aimait !

Gianfranco était un  homme libre, mais aussi, pudique.

S’il ne faisait pas de concession, il ne se livrait pas facilement.  Pour cela, il fallait être capable de fendre l’armure.

Nous croisons, dans la vie, des milliers de visages, des milliers d’êtres humains. Parfois, par une curieuse alchimie, certains arrêtent le regard. Certains ont une épaisseur telle que des relations et, ensuite, une amitié, se nouent.

Les paroles qui se prononcent alors ont toutes un sens et se gravent dans la mémoire.

Aujourd’hui, dans un haussement d’épaule de l’éternité, Gianfranco nous quitte pour toujours.

Mais Maria Grazia, tu le sais, les morts ont fait les vivants, et les vivants que nous sommes resteront fidèles aux morts.

Oui, Gianfranco, nous te resterons toujours fidèles.

Merry

merry_hermanus@yahoo.com


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