Rome 1974 – Bruxelles 2016… Une même incurie !

Un film d’Ettore Scola.

Il y a peu, j’ai eu la chance de revoir le chef-d’œuvre d’Ettore Scola « Nous nous sommes tant aimés. »  On ne rendra jamais assez hommage à ce cinéma italien, unique alchimie, mêlant lucidité, humour, infinie tendresse pour le genre humain, critique sociale où les larmes et le rire cohabitent miraculeusement.  Eternelle admiration.

Ce qui me retient ici, c’est l’une des scènes de ce film tourné en 1974 à Rome.  On connaît l’histoire, trois camarades ont combattu les fascistes et les Allemands, des liens solides les unissaient, l’amour pour une même femme les rapprochait et les séparait.  Mais ce sont surtout les terribles désillusions de l’après guerre qui les contraignent à prendre des voies différentes.  Là, n’est pas ici l’essentiel, ce qui m’a stupéfié, c’est que lors de leurs retrouvailles en 1974, heureux de se revoir, ils mangent et boivent dans le bistrot de leur jeunesse puis, c’est là où cela concerne les bruxellois de 2016, ils errent dans les rues de Rome à la recherche de la femme de l’un de nos héros ; ils la retrouvent,  elle campe autour d’un feu de planches de bois, en compagnie de quelques centaines de personnes !  Que fait-elle ainsi en pleine nuit ?  Elle attend pour inscrire son enfant à l’école !  Voilà vous avez compris.

Devant une école par une froide nuit de Juin 2016.

Eh bien, en Juin de cette année 2016 à Bruxelles, j’ai fait la même chose avec l’une de mes filles et mon gendre.  L’un de mes petit-fils, excellent élève, terminait sa scolarité primaire à Catteau. Mon gendre et ma fille souhaitaient bien évidemment qu’il puisse poursuivre sa scolarité dans cet établissement de qualité… NON !  Impossible, malgré une foule de démarches… totalement exclu par le décret de la Communauté française.  Ce décret est une sorte de jeu de société pour les nuls, il faudrait le faire breveter et le vendre, il pourrait avoir plus de succès que le Monopoly… au moins, il aurait une utilité. Ce fantastique imbroglio où la stupidité la plus lourde s’additionne à la bureaucratie la plus tatillonne, a eu pour résultat la ghettoïsation de très nombreuses écoles bruxelloises, l’effondrement de la qualité de l’enseignement dont les premières victimes sont les enfants d’émigrés, les plus nantis ayant la possibilité… de chercher ailleurs !  Je ne leur donne pas tort.

Donc, par une froide nuit de juin, mon gendre et ma fille ayant été contraints de faire le choix d’un autre établissement, je décidai de me rendre vers minuit et demi le jour des inscriptions devant la porte de l’école choisie.  Dans la nuit noire, j’approche en voiture, me parque, quelques ombres s’agitent, sortent de leur véhicule… atmosphère de suspicions… seize personnes se pressent devant la porte de l’établissement… crainte que je prenne une place qui ne serait pas la mienne.  Une mère d’élève a eu la bonne idée de coller une feuille sur la porte, chacun y inscrit son nom dans l’ordre d’arrivée, je suis le dix-septième… Il est une heure du matin, il fait froid, on claque les pieds, on souffle dans les mains, certains ont prévu du café, généreusement le distribuent… je songe à l’exode de mai 1940, à des gens désorientés tentant tant bien que mal de survivre, de trouver une solution…Oui !  Nous en sommes là !  Ma fille et mon gendre prendront le relai jusqu’à onze heures où une secrétaire de l’école, honteuse de cette situation, commencera à noter les candidatures.  La nuit, on parle, une mère explique que près de 1.300 enfants n’ont pas d’école dont un peu plus de mille bruxellois, elle ajoute « le problème étant essentiellement bruxellois tout le monde s’en fout. »  La presse confirmera à peu de choses près les chiffres qu’elle nous communique.  Je savais qu’il y a quelques années la femme de Charles Picqué, Ministre-Président à l’époque, avait campé de la sorte devant le collège Saint-Michel pour avoir le privilège d’y inscrire ses enfants. Elle avait été filmée par RTL mais rien n’avait changé.  La situation était encore chaotique.  Madame Milquet avait évoqué une réforme de ce décret scélérat, la ministre lui ayant succédé ne trouve pas que cela soit nécessaire… bien voyons, c’est bien normal, il n’y a pratiquement que les Bruxellois qui en pâtissent dans le silence des Politiques et quelques clapotis dans une presse que de moins en moins de gens lisent… Cette mère avait raison… tout le monde s’en fout !

Pourquoi une telle incurie ?

La véritable interrogation est de tenter de comprendre comment il a été possible de prendre… et de maintenir une réglementation à ce point mortifère, ridicule…pire, qui va à l’encontre de l’objectif poursuivi.  Le but proclamé était de permettre à des enfant de familles immigrées de rejoindre des établissements sans que ceux-ci ne puissent effectuer des « tris » basés sur l’origine ethnique des enfants.  Il est tout à fait exact que cela se pratiquait et que beaucoup de familles immigrées avaient le plus grand mal à trouver une école de qualité pour leurs enfants.  On le sait l’enfer est pavé de bonnes intentions, le fléau de la balance a été forcé au maximum dans l’autre sens.  Conséquence, une catastrophe absolue au niveau de la qualité de l’enseignement, des établissements réputés sont devenus des « garages pour enfants », les acquis fondamentaux sont oubliés, impossible à l’enseignant de faire son travail.  Les écoles bruxelloises sont devenues de formidables ( au sens premier de ce mot, à savoir redoutable ) fabriques de chômeurs !  Curieux d’ailleurs, ce que Bruxelles fabrique le plus et le mieux ce sont des Politiques, des masses de Politiques qui vivent sur « la bête » et des chômeurs… des générations de chômeurs ! Là, on est super performant, sans doute parmi les meilleurs d’Europe !  Il y aurait d’ailleurs un extraordinaire doctorat à faire en étudiant l’origine sociale des Politiques bruxellois et leur « chance » d’être au chômage s’ils n’étaient pas en politique… explosif sans nul doute !  Rudi Vervoort, gestionnaire aussi discret qu’efficace, a essayé d’aborder le problème il y a deux mois… On lui a vite fait comprendre que… « Pas touche à la grande loterie des  mandats »… Tous gagnants du lotto politique !

Pourtant, cela fait longtemps que les statisticiens avaient mis en garde les Politiques, le boum démographique, l’impact ethnique étaient là, il fallait réagir, s’adapter, construire des écoles, augmenter le nombre de classes, revaloriser les traitements des enseignants… Non ! Dans certaines communes on rénove des écoles en maintenant le nombre de classes de l’ancien établissement… les enfants sont parqués dans le meilleur des cas dans des conteneurs ! Un WC pour cent cinquante enfants !  Voilà où on en est !  Et on nous annonce plusieurs milliers d’enfants scolarisés en plus pour 2020 !   Rome 1974, Bruxelles 2016 soit quarante deux ans plus tard même incurie !  Effroyable constatation !  Tiens, pour conclure… à l’intention de l’énorme multitude des mandataires Politiques bruxellois, indifférents… ou qui regardent ailleurs, l’un des protagonistes de ce merveilleux film déclare tout à la fin « nous voulions changer le monde, et c’est le monde qui nous a changés ! »  Rien de plus vrai aujourd’hui !

13 réponses à “Rome 1974 – Bruxelles 2016… Une même incurie !

  1. jeanberger44

    Pleinement d’accord contre l’attitude d’un état-voyou qui met en danger la plus importante obligation d’une société, celle d’une solidarité inter-générationnelle en vue de sa pérennité, en vue du maintien d’une cohésion sociale. Cette incurie romaine à Bruxelles ne vise qu’à rendre les prochaines générations, comme Milquet l’a décrété , « Affreux, Sales et Méchants »! Elle nous a tant aimé de son H de parti pour Humanistes! NEE Madame « Nee », bien née…. Cette situation est sauvage, barbare et INHUMAIN ET INSOUTENABLE A TERME!

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  2. jeanberger44

    Elle nous a tant aimés(Mil excuses!)

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  3. Merci de m’avoir lu

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  4. jeanberger44

    Le Lotto politique:après mon intervention aux cervicales, je rentre , mais je voulais avant tout envoyer mes condoléances à Madame Lallemand! Malgré le refus de la guichetière de ne me vendre qu’un seul timbre, je suis retourné chez mon libraire qui m’a assuré ne plus en avoir un seul! Je me suis arrangé pour passer dans une autre file. L’agent m’a d’abord refusé prétendant que mon N° n’était pas correct, or c’était celui qui était affiché! Il a même mesuré l’enveloppe! Sympa juste après cette anesthésie locale avec un lombostat, une orthèse à la main droite et une minerve…. J’ouvre une revue chez moi avant de m’écrouler au pieu. Je venais d’apprendre que mon mentor politique s’était barré en Suisse. Plus la peine d’envoi Rue de la Réforme….Scandaleusement riche, même ceux qui aurait été si près du Che! Quel bol…ivie!

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  5. jeanberger44

    celui qui aurait été si près…

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  6. Cher Jean,
    J’espère que ta santé est meilleure

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  7. jeanberger44

    Merci, mais c’est infernal, vu l’accumulation d’infections, et la paralysie qui progresse. Je ne comprends pas l’attitude de certains camarades, alors qu’il y a un an tous cherchaient en moi l’arbitre de leurs causes de Pierre (Lardot) à Romain (De Reusme). Aujourd’hui, pas d’e-mails ni même mes timbres! Là, c’est trop grave. Au moment de la disparition de Roger, mon mentor, nous nous sommes toujours trouvés les yeux fermés, car mes lectures grâce à « ta » bib, me permettaient ce rapprochement idéologique. Impossible d’être plus près, et donc de pallier à pareille perte, (même si l’histoire de la Suisse). « Z »:il est vivant en grec!

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  8. cuberdon63

    Dans les années 70, j’étais président du Ciné club d’Etterbeek et j’avais mis ce film dans la programmation, j’aimerais le revoir mais à l’époque, j’avais 24-25 ans, sa vision m’avait totalement bouleversé. Ah, ce grand Ettore Scola.

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  9. Merci de m’avoir lu.

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  10. jeanberger44

    Quels sont les points communs de tous les films de Frederico Fellinii?

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  11. jeanberger44

    Réponse aux jeux des … »s’il vous voulez bien »!

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  12. jeanberger44

    Erratum: »Elle nous a tant aimés ».

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  13. Cher jean,
    Merci de m’avoir lu
    J’espère que l’intervention s’est bien passée
    amitiés.

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