« Presque toujours en politique, le résultat est le contraire de la prévision. » François-René de Chateaubriand
Avant tout un peu de modestie.
Les observateurs francophones de la vie politique belge sont souvent très attentifs aux débats politiques en France, il s’en suit souvent déceptions et frustrations. On s’attend à entendre ou à lire nos mandataires publics du de Gaulle, du Mitterrand, du Jaurès, du Clémenceau, du Mirabeau et on a droit à du Lutgen, du Milquet, du Jeholet, du Michel, du Magnette ou du Flahaut ! On espère des débats comme ceux de la première constituante de 1791 et on doit se contenter des discussions sur « le cours de rien », on espère Badinter sur la peine de mort ou Simone Veil sur l’interruption de grossesse et on a les auditions ubuesque sur le Kazakhgate ou sur Mayeur…
On a le choix entre un Feydeau ou le « Mariage de Mademoiselle Beulemans », impossible de quitter Clochemerle ou l’ambiance enfumée, l’odeur surette de bière, la cendre de cendriers sales du café du commerce. Il n’y a pas d’illusions à avoir, nous sommes tels que Trotsky nous décrivait « un peuple de pantouflards », l’héroïsme, le lyrisme politique très peu pour nous ! Et encore Trotsky était aimable comparé à Charles Baudelaire qui éructait « On me demande une épitaphe pour la Belgique morte. En vain, je creuse, je rue, je piaffe, je ne trouve qu’un mot : enfin ! » Bart De Wever doit regretter de ne pas l’avoir écrit.
Moi , j’adore cette formule de l’écrivain britannique Patrick Mac Guinness quand il note « Ici en Belgique, même les moines trappistes doivent choisir la langue dans laquelle se taire. » Contrairement à ce que beaucoup de belges supposent, nous n’avons pas inventé le surréalisme mais il est indubitable que nous en sommes les champions du monde, nous le pratiquons jusqu’aux abysses d’absurdités. C’est un horrible truisme, je m’y soumets honteux mais il est tellement vrai que nous avons les politiques que nous méritons !
En un mot comme en cent, nous baignons voluptueusement dans un océan de médiocrité, celle-ci parfois joviale nous fait rire, parfois brutale nous courbons le dos, parfois rapace nous nous indignons… un bref moment… on oublie et tout recommence !
J’en reviens à Trotsky, pour lequel je n’ai pas plus d’estime que pour son vainqueur, mais il dit vrai quand il écrit « à l’exception d’une mince couche de politiciens professionnels, les nations, les peuples, les classes ne vivent pas de politique. » Il savait de quoi il parlait, pas de doute. Mais soyons de bon compte, n’est-il pas vrai que l’on peut vivre très heureux sans héros.
Avons-nous besoin de verbeux atrabilaires tel Mélenchon réanimant un langage politique ayant démontré son impuissance, tonnant des verbes creux, conduisant de sympathiques et naïfs militants vers de décevants « matins qui chantent », sans voix, évanouis depuis 1945 !
Lorsque j’enseignais, j’avais pour habitude de dire à mes étudiants qu’il était plus facile de mourir en deux secondes sur une barricade que de construire, de maintenir, de compléter, de défendre notre système de sécurité sociale pendant cinquante ans ! Le romantisme révolutionnaire fait encore et toujours les mêmes dégâts.
Du bon usage de la médiocrité.
« En politique, la distance est à peu près nulle entre l’homme le plus instruit et le plus inculte. » Léon Werth
Donc, si un certain niveau de médiocrité est courant dans notre monde politique, il faut admettre que le plancher est aujourd’hui non seulement atteint mais largement dépassé. N’est-il pas exact comme l’écrit André Maurois qu’en « politique, la médiocrité l’emporte souvent sur le génie, parce que celle-là se plie aux événements tandis que celle-ci prétend les créer. »
Depuis des lustres, nous sommes, particulièrement à Bruxelles, gouvernés par des ministres de carnavals… il est vrai pittoresques mais mis à part le nez rouge, le large et trop long pantalon à carreaux, les chaussures hors taille, ces clowns ne nous font plus rire tant la situation de beaucoup de nos concitoyens est dramatique, tant le désespoir envahit les cœurs et les esprits… et il en faut des tonnes de désespoir pour faire du PTB le premier parti de Wallonie… selon d’opportuns sondages bien sûr.
Ne l’oublions pas, sans la désespérance allemande de 1919 pas de nazisme, sans l’immense misère russe pas d’Octobre 17. Si les civilisations sont mortelles, la démocratie qui n’est après tout qu’un système parmi d’autres, est un bien particulièrement fragile et toujours contesté.
Alain Badiou, philosophe français médiatique et admiré par d’aucuns ne défend-il pas le maoïsme ? Ne met-il pas en cause la démocratie ? Lui écrit et parle à visage découvert, mais combien ne pensent-ils pas comme lui, espérant qui « l’homme fort » qui « la dictature du prolétariat » ?
Aucune de nos liberté n’est définitivement acquise, aucune de nos protections sociales, si chèrement payées, ne sont définitives. A l’évidence, c’est cela qui est aujourd’hui en cause dans toute l’Europe et dans le monde, c’est ce basculement global qui est à nos portes.
Alors oui, des politiques médiocres sont supportables, et le plus médiocre d’entre eux est préférable à un Bonaparte aux petits pieds… qu’il s’appelle Degrelle ou autrement.
Cependant, j’éprouve parfois une angoisse compassionnelle lorsque j’entends Charles Michel s’exprimer, curieuse élocution, trop pincée, épouvantablement scolaire, on la devine péniblement acquise dans un groupe de théâtre amateur de province, c’est en permanence la scène décrite admirablement par Molière de la leçon d’orthographe dans « Le bourgeois gentilhomme »… et je me dis, le langage structurant la pensée, si j’en crois Claude Hagège, que les concepts que notre premier ministre tente d’exprimer, ressortent du même niveau.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement de la Belgique est dirigé par le lauréat… d’un concours d’éloquence… scolaire ! Qui peut croire que ceux qui aujourd’hui nous dirigent peuvent faire face à de tels enjeux, ceux pour qui « il n’y a pas de principes, que des événements, pas de loi que des circonstances » ceux-là ne peuvent à l’évidence y répondre !
Un État atomisé… un État pillé.
« Le courage de changer ce qu’il est possible de changer, la force de supporter ce qu’il est impossible de changer et surtout l’intelligence pour discerner l’un de l’autre. »
Saint François d’Assisse
Il y a tant de ministres, tant de députés, tant d’assemblées législatives en Belgique que l’on pourrait en faire un jeu de société plus complexe que le jeu d’échec, plus fascinant que le jeu de Go, plus vicelard que le pire des jeux vidéo… je propose une commercialisation et un brevet mondial… le succès est assuré !
Qui doute encore que ces atomes d’états, ces particules de pouvoirs, ces ions de fonctions n’ont plus que pour unique utilité que de nourrir, de fournir un emploi à ceux qui les occupent ! Il y aurait un doctorat de sociologie fascinant à réaliser sur le niveau de formation et sur les emplois occupés par les multiples mandataires avant qu’ils n’occupent les fonctions politiques qui leurs ont été dévolues. J’ai pu constater, tout au long de mon trop long parcours, qu’il y avait deux types de mandataires politiques, ceux qui avaient un vrai métier, une formation solide, une base solide « de repli » et ceux, aujourd’hui l’immense majorité, qui mis à part la politique n’ont rien, ceux pour qui la politique est tout car à côté, c’est le vide.
L’émission « Striptease » de loin la meilleure émission jamais réalisée par la RTBf avait ainsi réalisé l’interview d’un étonnant Échevin PSC de la ville de Bruxelles qui avec une franchise et une naïveté désarmante expliquait à l’antenne que sans la politique, il n’était rien… une scène éducative à revoir car elle explique tout de la situation que nous vivons aujourd’hui.
Qui s’étonnera alors que le premier objectif d’un élu est de se faire réélire…
« des objectifs… des projets… mais de quoi parlez-vous ? D’abord ma réélection… le reste ne compte pas car si je ne suis pas réélu… c’est le vide ! » Que l’on est loin du député Pierre Le Grève qui abandonnant (la loi de 1848 l’y obligeait ) l’enseignement pour occuper son mandat en 1965 siégeant pour l’UGS, n’étant pas réélu, vendit des aspirateurs en porte à porte.
L’héroïsme politique n’est plus d’époque. Cela ne peut plus arriver, il y a toujours dans l’énorme vestiaire à mandats de quoi habiller le plus nul des candidats… les sinécures ne manquent plus depuis l’atomisation des institutions… le but est atteint… les citoyens… le pays… le chômage… l’emploi… l’enseignement…. la santé… Oh ! ça c’est une autre histoire !
Ainsi le PS, quasi toujours dominant depuis l’érection de la Région ne fut pas capable de faire face aux enjeux de l’avenir. Picqué, Ministre-Président pendant quinze ans assista, cynique rigolard, « connaissant le prix de tout mais la valeur de rien », à l’effroyable paupérisation de notre région, à son étouffement par des plans de mobilité reptilien dont le but n’est rien d’autre que de tuer la ville en empêchant ceux qui y vivent et y travaillent de circuler. Que cela fut incompatible avec l’avenir économique et social, ne fut en rien important, l’essentiel était de faire risette à ceux qui s’habillent comme des personnages du feuilleton « La Petite maison dans la prairie » et veulent transformer cette ville en réserve d’Indiens pauvres mais Attention… roulant à vélo… c’est plus chic en trottinette chromée !
Pourquoi avoir voulu gouverner à Bruxelles et en Wallonie bloc contre bloc ?
« En politique on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables. »
Georges Clémenceau
J’ai encore dans les oreilles les rires gras de certains barons (et marquises) socialistes heureux du bon tour qu’ils avaient joué au MR en constituant en dix jours des majorités excluant les libéraux en Région wallonne, bruxelloise ainsi qu’à la communauté française. Ah ! que c’était comique, le MR se retrouvait à poil (sic) jamais il n’oserait s’allier à la sulfureuse NVA.
Aucun de ses stratèges de sous-préfectures n’envisageaient l’alliance avec le diable flamingant possible… et pourtant c’est ce qui fut. Certains au PS pensaient qu’exclure le MR des exécutifs régionaux c’était Octobre 17, la prise du Palais d’Hiver, la nationalisation des moyens de production, enfin la dictature du prolétariat, on allait mener de vrais politiques de gauche, je rigole bien sûr !
Onkelinx n’avait-elle pas dit que l’alliance au fédéral présidé par Elio di Rupo était « contre nature »… inceste politique qu’elle pratiqua néanmoins impunément pendant pas moins de cinq ans… sourire aux lèvres… peut-être qu’aujourd’hui, elle aussi a « le cœur qui saigne ! » Petit prix à payer et que le PS a payé le cœur léger. Words… Words… Words aurait dit le vieux Will Shakespeare ! Mais bon sang, nous sommes en Belgique, les élections ne ressemblent pas au coup de canon du croiseur Aurora dans le port de Cronstadt.
Qui croit vraiment que dans des gouvernements de coalitions comme nous les connaissons en Belgique depuis 1914, il soit possible de mener la politique de Thatcher ou de Chavez si sont exclus soit les socialistes soit les libéraux. Non, lors de la constitution des majorités, ce qui est en jeu, c’est fort peu de choix idéologiques mais beaucoup le nombre de mandats qui vont être dévolus à chacune des formations présentes à la table du banquet… là est la sinistre réalité… on n’aime pas partager… voilà la seule, l’unique vérité !
Le résultat de cette combinazione fut la formation du gouvernement le plus à droite de notre histoire depuis 1944. La culpabilité est pour le moins partagée… et qui paye les résultats… lecteur, si tu es encore là… tu connais la réponse !
J’ai visionné il y a peu le feuilleton télévisé danois « Borgen ». Je fus impressionné par les similitudes de situations politiques dans le vertueux Danemark et ce qui se passe chez nous. Même tambouille nauséabonde, même tripatouillage, même goût pour la trahison… mais en définitive n’est-ce pas là aussi le prix à payer à la démocratie. J’y mets cependant un énorme bémol car ce qui se dessine aujourd’hui c’est un basculement sociétal, une immersion dans un monde incontrôlable tant au plan démographique qu’au plan économique. Les enjeux sont devenus à ce point globaux que nos magouilles d’arrière-salle de bistrots crasseux sont devenues criminelles. Qui ose encore prétendre avoir la certitude que ses enfants auront une vie meilleure que celle qu’il a eue ? Qui ose soutenir que demain la laïcité continuera à protéger nos libertés essentielles ?
Nous sommes confrontés à la fois à une guerre de civilisation, à une guerre économique, à l’impuissance des politiques face au véritable pouvoir celui de la finance internationale… alors vraiment face à ces chocs telluriques, le fait d’exclure les libéraux des gouvernements régionaux était-ce si intelligent ? Depuis longtemps, je soutiens le contraire pensant qu’il peut y avoir des gens compétents partout et que les exclusives ne servent à rien… mais toujours les tenants de la lutte des places l’ont emporté.
Le cas Lutgen ou la médiocrité agissante.
« Il y a beau temps que je ne dis jamais ce que je crois et que je ne crois jamais ce que je dis, et s’il m’échappe parfois quelque vérité, je l’enfouis dans tant de mensonges qu’il m’est difficile de la retrouver. »
Machiavel
Déposer une citation de Machiavel sous un texte traitant de Lutgen… j’avoue que j’ai hésité… entre le rustique bastognard et le subtil florentin, ce n’est pas un gouffre qui les sépare mais la fosse des Philippines soit plus de mille trois cent kilomètres de profondeur… un record mondial… En un sens Lutgen est aussi un champion mondial étant à la politique ce qu’un Apéricube est à une roue d’Emmenthal, lui aussi comme quelques solides et inépuisables crétins que j’ai connus en politique municipale croit comme le coq qu’en chantant sur le fumier, c’est lui qui fait le soleil se lever !
J’ai cependant maintenu la référence à Machiavel car il y est question du mensonge… et là aussi Lutgen est un éminent praticien, d’ailleurs sur ce point ne convient-il pas de remarquer qu’à ce niveau de mensonges on rejoint la vérité et qu’une telle hypocrisie c’est de la franchise. Je crois avoir remarqué dans le regard de Monsieur Lutgen dont la voix est ferme, l’élocution simple, virile, mais le regard, oui… le regard me dit autre chose, par moment les yeux donnent l’impression de chercher quelque chose, il songe, un ange passe dans ce regard, oh ! c’est très rapide, vif, fraction de seconde, légère buée se dissipant tout de suite, mouvement quasi imperceptible… ça y est… j’y suis, c’est le bref moment où Monsieur Lutgen songe à la Vérité, cette minute inouïe que les toreros appellent « el momento de la verdad » il passe si vite, impossible pour Lutgen de la retenir… blanche colombe ne se posant jamais dans le discours du Président du CDh. Encore une question, Benoit Lutgen a-t-il lu Georges Orwell lorsqu’il écrit : « Le langage politique a pour but de faire paraître vrai le mensonge et respectable le meurtre. » J’aimerai pouvoir répondre par l’affirmative… mais j’ai comme un léger doute !
Lisant l’interview de Paul Magnette dans « Le Soir » de ce week-end, je me suis demandé si lui avait lu Jules Vallès, j’en suis quasiment certain vu son éducation et sa formation car c’est lui qui écrit « la politique sépare tant de mains qui se croyaient jointes », j’y songeais lorsque Magnette soulignait qu’il avait « presque » construit une relation d’amitié avec Lutgen ! En sa qualité de professeur de Sciences politiques, il connait mieux que personne l’adage de la politique britannique pendant tout le XIXème siècle : « pas d’amis permanents, pas d’ennemis permanents. »
Très récemment, le bourgmestre de Bastogne a joué son va-tout, il a déclaré dans la « Libre Belgique » que le PS était communiste… j’avoue que j’en ai eu le souffle coupé… qui peut, fut-ce une seconde, croire une telle stupidité … c’est dire le niveau du bonhomme, c’est aussi le signe d’un désarroi total face à l’échec de son opération de la dernière chance… Qui songerait encore « à sauver le soldat Lutgen » personne, surtout pas son nouvel et triomphant allié MR ! Osons la question ! Lutgen est-il bête à ce point ? A qui fera-t-il croire que le PS est subitement devenu infréquentable ? Et que là est la raison du changement d’alliance « stratégique ».
Le futur gouvernement fédéral.
« Dans la politique, on arrive à tout avec rien, sans faire preuve comme dans les autres professions d’aucun talent. »
Jules et Edmond de Goncourt
Quoi que l’on en pense, toute cette opération, qu’elle soit ou non celle de la dernière chance pour le CDh, est révélatrice d’une vision autrement plus importante. En effet, Lutgen concocte son coup d’état avec Chastel et quelques autres mais ne songe nullement à Bruxelles ou à la Communauté française…
Est-il à ce point nul en géographie ? Connait-il aussi mal nos institutions ?
Je n’ose l’exclure, cependant je pense plutôt que pour lui Bruxelles et la Communauté française ne comptent plus, il se place dans la perspective de 2019, c’est-à-dire de la reconduction du gouvernement Charles Michel où le CDh viendrait en Petit Poucet manger au râtelier, ne laissant plus le MR seul face à l’ogre flamand. Là, est le véritable objectif de cette opération qui n’a abouti que pour un tiers grâce au refus courageux du Président de Défi.
Lutgen croyait, mini de Gaulle, que l’intendance suivrait et que Maingain viendrait à la bauge pour y bâfrer ! Il est toujours dangereux de croire que les autres agissent comme soi ! Il croyait que tous étaient comme Victor Hugo le souligne « des hommes dont on ne peut se servir qu’à condition de les satisfaire » Quel choc ce dut être pour Lutgen et Chastel de constater que d’autres se situaient et mettaient leur fonction à un autre niveau. Il est vrai qu’il peut se rassurer en songeant que les « crimes politiques vieillissent comme le reste… et parfois plus vite ». Moi, cependant je connais des politiques amnésiques … qui n’oublient rien… avec ceux-là Lutgen pourra se faire du soucis.
La Démocratie chrétienne rêve ou réalité ?
« Les centristes sont des gens de droite un peu plus hypocrites. »
François Mitterrand
J’ai eu l’occasion de fréquenter des démocrates-chrétiens, gens de qualité mais …sans électeurs… ennuyeux en démocratie. Voilà ce qui fut de toujours leur seul vrai problème. Le MOC c’était parfait mais il n’y eut jamais de courroie de transmission électorale, ce n’étaient que des mots sur du sable. Les mythes sont intéressants seulement quand on peut en faire quelque chose. La réalité, la dure, l’effroyable réalité est que le PSC et son avatar le CDh ne fut jamais qu’une formation politique réactionnaire, conservatrice, héritière du Parti catholique d’avant-guerre.
J’ai eu le privilège de connaître et de voir agir Califice, il fut l’un des rares de son espèce, comme le dit Audiard, il y a des poissons volants mais qui ne constituent pas la majorité du genre… la dernière prise de position de Maystadt ne me fera certes pas changer d’avis. Le seul groupe structuré et influent au sein du PSC fut de tout temps le CEPIC et ses différents bourgeons… Gérard Deprez l’avait parfaitement compris, lorsque tirant les conclusions, il s’extirpait du marais pour rejoindre le MR.
On comprend ainsi mieux l’angoisse de Lutgen, que lui reste-t-il, rien ou si peu de chose, risquant ainsi de devenir celui qui éteindrait pour la dernière fois la lumière des bureaux de la rue des Deux Eglises (cela ne s’invente pas !), il a brutalement viré sa cuti se découvrant un goût pour la vertu, étonnant boyscout préférant manger sa parole qu’assumer ses actes. Pour tenter d’exister, soumis au « dur désir de durer », ne sachant d’ailleurs plus pourquoi il dure, il jette par-dessus bord les francophones de Wallonie et de Bruxelles, choisissant le mensonge et le calcul politique, il se retrouve pieds et poings liés aux mains de la NVA et de De Wever, seul vrai maître du jeu, ayant réussi l’exploit de voir exploser le potentiel front francophone sans avoir dû lever le petit doigt…
Oui Lutgen est vraiment un fin tacticien !
Les intérêts francophones disparaissent ainsi, dissous dans des intrigues de couloirs. Lutgen aura accompli le rêve du député Van Rompuy (le frère du thuriféraire de Saint Thomas) qui déclarait fin des années septante dans une interview à la RTBf que la Flandre n’avait que faire de l’indépendance, elle n’aurait qu’à coloniser la Wallonie… Van Rompuy, bouille rubiconde de moine ripailleur faisant commerce d’indulgences, il y a trente ans l’avait rêvé… Lutgen l’a réalisé ! Un succès ! Oui vraiment ! pour la Flandre… il n’y a pas de doute.
Et en outre, Maxime Prévot confirme et signe l’aveu… Oui le CDh gouvernera en 2019 avec la NVa…. Quand je vous disais qu’à ce niveau d’hypocrisie c’est de la franchise ! Ce Prévot a de toute évidence la langue trop près du cerveau, il a tenté de rétropédaler, sourcils ombrageux, yeux ronds, bouche ouverte, interloqué, stupéfait qu’ainsi brutalement… la vérité se soit échappée de son cerveau reptilien… il la croyait enfouie sous un amas suffisant de mensonges comme on le lui avait appris à l’école… il n’a pas pu la retenir…. « Diable de Vérité…. Elle doit être de gauche la Salope ! »
Le PS…Une haine inquiétante.
« La politique est faite pour une part de la fabulation d’une certaine image et d’autre part de l’art de faire croire en la réalité de cette image. »
Hannah Arendt
Ah ! les réseaux sociaux, merveille et horreur à la fois, comme pour tout le meilleur et le pire, je suppose qu’on disait la même chose de l’imprimerie au XVème siècle, plus d’une fois les oreilles du vieux Gutenberg ont dû siffler !
Néanmoins, je suis souvent impressionné par le degré de haine qui sourd de certains messages sur Facebook, comme le disait Emmanuel Valls la semaine passée sur France Inter, il y a des mots qui appellent le sang, qui appellent le meurtre… j’évoque à peine ceux qui se cachent derrière un anonymat protecteur, ceux-là sont dans la filiation de ceux qui envoyaient des lettres anonymes à la Gestapo, déchets humains, inqualifiables crapules, dans leur cas la formule qui veut que la haine soit le courage des pleutres est parfaitement justifiée.
Non, je songe à ceux très nombreux pour qui même la peine de mort serait trop douce pour certains membres du PS, une dame l’a écrit en toutes lettres !
Qu’ aurait-elle souhaité pour Mayeur, Peraïta et quelques autres l’éviscération, la roue, l’estrapade, l’écorchage, l’ébouillantement… du grand spectacle sans nul doute.
D’autres accusent le PS d’avoir trahi ses idéaux, d’être devenu réformiste etc…c’est parfaitement exact mais c’est vrai depuis Août 1914 lorsque Emile Vandervelde entre dans le gouvernement de Broqueville. Depuis 192O, le choix réel ne fut plus qu’entre un socialisme de caserne qu’impliquait l’adhésion à la IIème internationale et un socialisme du mensonge, des promesses non tenues. Rien de neuf sous le soleil. La charte de Quaregnon dont il est beaucoup question fut un moment dans l’histoire du POB, quel gouvernement s’y est un jour référé ? Pas un ! Juste un rappel pour chauffer un congrès, pour frémir au rappel des grands anciens. Non ! Jamais le PS n’a voulu renverser la table, jamais après 14, il ne fut un parti révolutionnaire. Alors qu’est-ce qui a changé ?
Pourquoi ce qui passait hier ne passe plus ? C’est assez simple, c’est l’image ! Dans une société prospère, dans une société où la progression de tous est perceptible, les gens se fichent de ce que gagne Monsieur ou Madame le député. J’adore ce dessin de « L’Assiette au beurre » où l’on voit deux enfants en guenilles face à la vitrine d’un restaurant où sont attablés bâfrant des hommes rougeauds, ventres énormes, gilets ouverts, serviettes autour du cou.
La légende du dessin est explicite, l’un des enfants dit à l’autre « amène-toi Mélie, tu vas attraper une indigestion ». C’est bien là l’image de notre société, les élus en trop grand nombre mangent alors que l’on refuse à des gens un scanner pour des raisons budgétaires et qu’on fait la chasse aux plus pauvres… « avec le cœur qui saigne » mais la chasse à courre se poursuit. L’image toujours l’image.
Quelle image donne du PS la trinité formée d’Onkelinx, de son avocat de mari et du fils de celui-ci député… au saut du berceau ? Ce trio-là attend encore son Daumier. Quelle image donne toutes ces filles de… et ces fils de… lancés dans une échevelée course aux places, pressés de remplacer papa ou maman, tonton ou tatie ? On est loin de la défense de la sécurité sociale, dont tous comprennent qu’elle est le grand enjeux de demain, qu’il faudra encore se serrer la ceinture tandis que cette classe politique non seulement inutilement pléthorique se reproduit entre elle tout en démontrant sa parfaite incapacité à résoudre les problèmes… ça ne passe plus ! Et puis il y a aussi l’hypocrisie, apparemment une chose fort bien répartie dans le monde politique. Ici une anecdote personnelle, un soir je dînais chez un industriel des plus fortunés accompagné d’un ministre socialiste et de sa femme qui deviendra députée, ministre, présidente d’assemblée etc…, à la fin du repas, elle frôle le pull du maître de maison, elle sursaute comme si elle avait été brûlée au troisième degré en s’exclamant « mais c’est du cachemire ! » Moi, je savais que cette « parfaite militante de base » qui s’offusquait qu’on porte du coûteux cachemire possédait une maison à Saint-Paul de Vence et quelques immeubles en Belgique ! Non ! ça ne passe plus…cette hypocrisie-là est insupportable.
Curieux comme toutes ces tricheries apparaissent clairement, comme les citoyens les perçoivent, les difficultés de la vie auxquelles ils doivent faire face agissent comme un révélateur chimique, une image apparaît… ce n’est plus celle qu’espéraient donner d’eux ces élus, qui ne sont à Bruxelles que de médiocres gagnants d’un concours de circonstances. Mais cela mérite une bonne raclée électorale mais ni la mort, ni la torture que nous promettent les réseaux sociaux.
La seule vraie question qui a un intérêt est de savoir si le PS peut se réformer de l’intérieur ? J’avoue que j’éprouve à ce sujet de solides doutes. Les enjeux sont énormes, mais les habitudes prises sont telles que je pense que les élus adoubés lors de congrès composés d’obligés et de personnels de cabinet ne sont plus capables de voir autre chose que leur intérêt direct… à très court terme. Comme le disait Sigmund Freud » quand on a une tête en forme de marteau on voit tous les problèmes en forme de clous « . La seule hypothèse qui tienne la route est le retrait du pouvoir partout, l’opposition permettant le dégraissage, le délestage de tous « les alimentaires » et ensuite repartir de l’avant. Dans le cas contraire, le PS disparaîtra… dans l’ignominie et l’opprobre générale sorte de disparition à la Guy Mollet, élu pour arrêter le guerre d’Algérie qu’il s’empressa de poursuivre et d’intensifier… Oui, parfois même en politique les tromperies se payent.
Et Bruxelles !
« La seule règle en politique, c’est qu’il n’y a pas de règle. » Tony Blair
L’avenir est sombre, très sombre. Des institutions à la libanaise, mille-feuille inextricable, multiplicité des élus… leur nombre étant directement proportionnel à leur incapacité de résoudre les problèmes qu’au contraire, par leur seule présence, ils accroissent comme le fait l’ineffable Smet, ministre avec 0,46% des voix et qui est censé s’occuper de la mobilité… les tunnels s’effondrent, ils ne sont pas entretenus… mais bon, on fera trois pistes cyclables avenue du port ! « z’étes pas contents…ces Bruxellois quels râleurs ! ».
Il faut le reconnaître, au cours de ces dernières semaines Maingain a donné de la politique une image différente, il est celui qui a dit Non ! Je remarque d’ailleurs qu’il est sans ambiguïté sur la laïcité, c’est l’un des seuls… pourquoi ne pas le dire même si l’on est socialiste… seule la vérité fait avancer les choses ! Il a refusé de « jouer » avec l’institution chargée de l’enseignement, de la santé ainsi que d’une foule de compétences que Lutgen et ses nouveaux alliés voulaient réduire à une Communauté réduite aux caquets ! Là aussi, il a dit non !
Il faut couper le nœud Gordien, la seule façon de le faire est d’en appeler aux citoyens. Curieux quand même qu’on ne donne jamais la parole aux habitants de cette ville. Un référendum pour savoir comment nous voulons être dirigés et par qui, si nous voulons conserver cette masse d’élus, cette masse de communes, de CPAS, d’institutions de toutes sortes génératrices de plantureux mandats.
Pourquoi ne nous inspirons nous pas des exemples Québécois, Ecossais ou Catalan, dans ces régions les politiques ont osé poser la question existentielle au peuple, et il a répondu par… la négative… jusqu’ici ! Chez nous, on ne veut surtout pas permettre de donner la parole aux citoyens, il doit s’exprimer au travers de partis, d’élections si complexes qu’il faudrait être lauréat du prix Fields pour y comprendre quelque chose.
Pourquoi ! Parce que le citoyen fait peur ! Certains affirment souvent qu’ à force de s’asseoir sur le couvercle de la casserole celle-ci pourrait un jour exploser !
Il ne se passera rien de tel à Bruxelles, cette ville-région est en coma dépassé, un nombre considérable des habitants ont depuis longtemps votés avec leur pieds…ceux qui avaient, les plus jeunes et les plus fortunés, la possibilité de fuir les rives de la Senne sont partis. Il suffit d’examiner le solde migratoire entre Bruxelles et les Brabant flamand et wallon… tout à fait éclairant ! La semaine passée Pascal De Wit dans « Le Soir » expliquait que Bruxelles n’exerçait plus aucune attraction pour les Wallons, par contre un nombre important de Bruxellois quittaient la région pour devenir Wallons ou Flamands. Comment ne pas les comprendre. Bruxelles reste, ce qu’un ministre FDF appelait élégamment dès 1989 une très efficace « pompe à pauvre ». L’avenir se dessine clairement, Bruxelles sera une ville totalement duale composée d’une part de la population la plus pauvre de Belgique… trop vieux ou trop pauvres pour partir et de l’autre, de fonctionnaires internationaux qui habiteront les beaux quartiers du sud de la capitale… voici le superbe résultat de près de trente ans de fonctionnement de la région Bruxelles !
Allez vivement les élections de 2019 qu’on rigole encore… tant que c’est possible !
Souvenirs communistes
« Là où il y a ni vérité, ni justice, il n’y a pas de possibilité pour un parti
socialiste. »
Léo Lagrange
« Pour un marxiste, le socialisme n’est pas une affaire de conscience morale,
il est une loi inexorable de l’Histoire. »
Michel Winock
Premier contact avec la politique.
J’ai trois ans. Je me brûle les fesses en regardant les photos de « Union Soviétique » grande revue mensuelle… inévitables photos de tractoristes riant de toutes leurs dents, de paysannes liant des gerbes de blé, foulards multicolores sur la tête, joues rouges, yeux vifs, souriantes, savants penchés sur des cornues, blouses blanches, lourdes lunettes, microscopes, becs Bunsen, fioles multicolores … Tous unis dans une même foi… une même espérance… Oui, c’est l’aube des lendemains qui chantent ! Moi, j’ai dû calmer la morsure du fer à repasser au moyen de compresses grasses… dans le fond, quand j’y pense ce premier contact avec la politique était prémonitoire… on peut s’y brûler les fesses !
Un solide atavisme.
La légende familiale soutient que notre famille s’est installée dans les Marolles au XVIème venant d’Autriche, il paraît qu’un de mes grand-oncle a vérifié ! L’important pour moi commence bien plus tard. Le POB est créé en 1885 au Cygne, à l’époque bistrot enfumé de la Grand-Place, et c’est en 1886 que mon arrière-grand-père crée la section bruxelloise du parti dans l’arrière salle de son café de la rue de l’économie, voilà des quartiers de noblesse qui à mes yeux valent bien une présence de la famille lors de la première croisade de 1099 ! La saga familiale n’est qu’une suite de déménagements à la cloche de bois, de bagarres contre la police, seize coups de sabre, des dizaines de points de suture car le combat politique se doublait pour mon arrière-grand-père d’une solide consommation d’alcool. A la veille de sa mort, mon grand-père Corneille Hermanus m’expliquait encore ses combats pour le suffrage universel, les morts rue Haute, tués par la garde civique, la façon dont il bourrait sa casquette ou son chapeau boule de papier journal pour amortir les coups que distribuaient les gendarmes. Après avoir milité au POB ce grand-père sautera le pas et rejoindra Jacquemotte au PCB en 1939 ! Il va de soi que les cinq enfants, mon père fut le second, seraient tout aussi communistes ! Et ils le furent !
Grandir avec la guerre froide.
Les années d’après-guerre furent d’abord celles d’une immense admiration pour l’Armée rouge et donc pour l’Union Soviétique. Mes parents avaient comme de nombreux belges épinglé au mur de la cuisine de la rue Neuve où nous habitions une carte d’Europe où de petits drapeaux visualisaient les avancées spectaculaires des troupes soviétiques qui depuis la contre-offensive devant Moscou de Février 1942 libéraient villes et villages occupés et martyrisés par les nazis. Oui ! ce furent les américains, les Anglais et les canadiens qui débarquèrent le 6 Juin 1944 mais chacun savait que c’était le flot de sang russe qui jour après jour faisait reculer les Allemands et ce au prix de trente millions de morts, dix millions de soldats et vingt millions de civils. Mon grand-père faisant partie d’un réseau communiste avait d’ailleurs caché pendant quelques mois trois prisonniers Russes évadés des mines de charbon de la Sambre. Après la libération, ils furent rapatriés en URSS, et malgré divers efforts de ma famille pour entrer en contact, on n’entendit plus jamais parler d’eux !
Par une curieuse alchimie générée par la guerre froide, l’allié soviétique devint progressivement l’ennemi, après 1947 qui vit la fin de la présence de ministres communistes dans les gouvernements européens, les communistes cessèrent d’être des héros pour progressivement être affublés de la livrée du traître aux ordres de Moscou. La pensée dominante fit de nous des minoritaires, des exclus du corps social, de ceux qui ne seront jamais d’accord avec la majorité. Très jeune, je pris conscience de ce caractère minoritaire, de ce que la famille était une sorte d’exception, que nous n’étions jamais d’accord avec les journaux, avec la pensée dominante. Je considère que ce fut pour moi une grande chance de grandir en se sachant minoritaire, en se sachant exclu d’une société que nous contestions, à laquelle nous ne donnions aucune légitimité… Être un minoritaire dès l’enfance m’a considérablement aidé dans la suite de mon aventureux parcours. En particulier cela me permit de comprendre que « leur » justice n’était pas la nôtre !
Eux et Nous… Un univers bipolaire.
A chaque instant chacun fait une lecture du monde, il interprète les faits, sa situation, à la lumière de ses convictions, chacun a dans la tête sa grille de lecture. La nôtre était simple… il y avait les autres, très nombreux, les dominants et nous, très minoritaires mais, énorme différence, nous, nous possédions la vérité. Il y avait les bons… nous et les autres… les mauvais. Tel artiste était apprécié pour son talent mais aussi parce qu’on savait qu’il était proche de nous, les symboles en étaient Yves Montand, Simone Signoret, Reggiani, Greco, Lemarque, Ferrat et une multitude d’autres compagnons de route du PCF. Il y avait ceux que l’on rejetait, qu’on savait ennemis acharnés de nos idées… avant tout ceux qui avaient collaboré avec les nazis. Hergé, le père de Tintin avait collaboré donc pas question de lire Tintin, le journal de Mickey était le poisson pilote de l’impérialisme américain donc il n’entrait pas à la maison ; restait donc Spirou dont je devins un lecteur assidu car mes parents ignoraient l’appartenance catholique de cette publication Carolo franchement réactionnaire, en particulier dans le feuilleton qui me passionnait le plus « Les Belles histoires de l’oncle Paul », exceptionnelle ouverture sur l’histoire, histoire d’Epinal et souvent d’extrême droite, ainsi l’épisode de la bataille pour l’Alcazar de Tolède pendant la guerre d’Espagne était présentée sous l’angle exclusivement franquiste, l’héroïsme du colonel fasciste Moscardo était vantée alors que les assiégeants républicains apparaissaient comme des bandits. Je reconnais, un peu honteux, que chaque semaine cette petite histoire me donnait le goût de l’histoire, Histoire qui dans la famille tenait une place considérable dans la mesure où l’histoire… avait un « sens » et de plus c’était la politique d’hier, et la politique d’aujourd’hui, serait l’histoire de demain.
Être communiste à cette époque, c’est donc appartenir à une contre société, contre société impliquant un engagement total, couvrant tous les aspects de la vie. J’avais huit ou neuf ans lorsque mon arrière-Grand-mère mourut, ma tante me conduisit dans la chambre où gisait la morte, lui faisant face sur le mur, à la place où ailleurs on trouvait un crucifix, trônait une photo grand format où Staline pointait du doigt un avenir rayonnant ! Donc, toutes les nuits, la dernière personne que voyaient mes grands-parents étaient le petit père des peuples, le guide infaillible, le vainqueur de la bête nazie.
La question royale.
Ce fut un moment capital. Pas question de voir revenir le roi félon qui avait épousé la fille d’un collabo, qui, alors qu’il était censé être prisonnier, partait en voyage de noce en Autriche, faisait un petit détour pour passer voir Hitler, qui surtout avait refusé de suivre les ministres en Angleterre pour poursuivre la lutte, qui enfin reprit ses titres de noblesse allemands qu’Albert 1er avait abandonnés pendant la première guerre mondiale. On connait l’histoire, le référendum, etc. Le retour de Léopold à l’été 1950, les grèves, les manifestations violentes. Pendant fort longtemps mon Grand-père louait deux caves dans les logements sociaux de la rue du miroir où il exerçait son métier de cordonnier. Incroyable capharnaüm, sombre, poussiéreux, sentant le vieux cuir et la poix. Là, étaient bien cachées, une mitraillette et des munitions attendant le grand soir qui ne vint jamais. Certains espéraient au minimum voir tomber une monarchie démonétisée, aspirant à la République. Au plus fort des évènements, mes parents décidèrent de m’exfiltrer en Wallonie à La Reid où j’étais censé être à l’abri, je fis le trajet dans la camionnette d’un certain Erlich, bien sûr membre très actif du parti, assis sur une épaisse couverture qui cachait des armes destinées à la région liégeoise, en cas de barrage sur les routes ma présence, sans doute, nous donnerait un air d’innocence. Lorsque Baudouin prêta serment en qualité de prince royal, les espoirs de république s’étaient envolés, un soir mon père et moi nous nous rendîmes le long du canal pour y jeter deux sacs de cartouches, sans doute des munitions pour la mitraillette de mon Grand-père ou pour le fusil allemand que mon père cachait depuis 1944. Je vois encore ces deux sacs, d’un gris sale, et le gros plouf qu’ils firent dans l’eau noire du canal. C’est l’un des grands mystères de mon enfance… pourquoi mon père m’avait-il pris avec lui pour accomplir ce dangereux engloutissement. Le canal noya les cartouches mais pas tous nos espoirs… il faudra attendre voilà tout. Le cri de Julien Lahaut, son vibrant « Vive la république » suivi de son assassinat… jamais jugé… résonnera longtemps dans le foyer familial ! J’avais oublié de préciser que depuis 1948 mon père possédait une voiture… évidemment un véhicule soviétique de marque Moskvitch, copie conforme de la plus petite des Opel mais sans chauffage… curieux pour une voiture d’un pays où les hivers sont si rigoureux.
Soirées électorales et soirées aux amitiés Belgo-Soviétiques.
Les soirées électorales furent pour nous une longue torture, années après années, résultats d’arrondissements après résultats d’arrondissements, la chute était ininterrompue, j’entendais mes parents jurer en écoutant les chiffres obtenus par le PC, constamment décevant, rien n’arrêtait cette déglingue pour nous incompréhensible. Quel contraste avec les soirées que nous passions, grâce à mon Grand-père, aux amitiés Belgo-Soviétiques. Cela se déroulait dans le prestigieux cadre du palais des beaux-arts, j’étais stupéfait d’y découvrir une foule de gens…nous n’étions donc pas seuls, j’entendais parler Russe avec un ravissement ébahi… c’était la langue des vainqueurs de Stalingrad, celle que parlaient les soldats qui avaient pris Berlin, traqué la bête nazie dans son dernier antre. Plusieurs dizaines d’années plus tard, j’irai me recueillir plusieurs fois devant le gigantesque monument élevé à Treptow, faubourg de Berlin, en hommage à ces héros. Au cours des réceptions clôturant les festivités mon Grand-père pointait différents participants en nous signalant sur le ton de la confidence la plus secrète qu’il s’agissait de gens riches mais « qui étaient avec nous ! » Le spectacle commençait immanquablement par la Brabançonne et l’hymne Soviétique, j’en tremblais d’émotion tant cet hymne avait pour nous une profonde signification, c’était la musique de ceux qui étaient dans le bonheur et la vérité… Je l’avoue aujourd’hui encore, je ne peux entendre cet hymne sans profonde émotion ! Faut-il préciser que nous étions aussi d’assidus spectateurs du cirque de Moscou… et de celui de Pékin jusqu’aux années soixante. Aucune des facéties du clown Popov ne m’étaient inconnues, les acrobates aériens, les dresseurs de fauves… tous étaient soviétiques, tous ne pouvaient qu’être merveilleux. C’était le temps où l’URSS était supposée être « l’avant-garde de l’humanité tout entière… incarnant le marxisme en action. » Ce pays était devenu après la guerre « un des pôles de la conscience européenne », le pays de l’utopie réalisée. C’est donc dans l’esprit de cette contre société globale que les fureurs d’un monde en profonde transformation étaient analysées et commentées à la table familiale.
Le Maccarthysme.
Le Maccarthysme répandait ses miasmes jusque sur le continent européen, en Belgique un conseiller d’Etat Buch était suspendu pour raison politique. Nous étions bien sûr opposés au Bénélux et plus tard à l’Otan, la création de la RFA fut ressentie comme un crime contre la paix. L’un de mes cousins partit en train à Moscou participer aux rencontres de la jeunesse en 1957… il pourra de ses yeux voir la vie soviétique, les réalisations, les succès. Sartre n’avait-il pas écrit en 1952 que « tout anticommuniste est un chien… dans vingt ans le niveau de vie des Soviétiques sera supérieur à celui des européens. » Alfred Sauvy, démographe de grand renom lui emboîtait le pas, soulignant « c’est donc vers les années 1962 ou 1963 que le niveau de vie des citoyens soviétiques égalera le niveau de vie occidental. » Comme quoi, il faut être circonspect à l’égard des déclarations de scientifiques tout autant que de celles des philosophes ! Pour ma part, je suis convaincu que Raymond Aron, condisciple de Sartre à l’école normale, avait tout à fait raison de dire : « les révolutionnaires du style de Jean-Paul Sartre n’ont jamais troublé le sommeil d’aucun banquier. »
La mort de Staline.
Ce fut un cataclysme, pour le septantième anniversaire de Staline tout le monde avait participé à l’immense collecte de cadeaux. Les émeutes de Berlin qui éclatèrent quelques mois plus tard ne pouvaient qu’avoir été fomentées par les nazis avec l’aide des américains, tout cela n’était que propagande antisoviétique.
Les Rosenberg.
Nous partagions l’immense émotion provoquée par la condamnation à mort des époux Rosenberg, manifestations, meetings… rien n‘y fit, ils furent exécutés sur la chaise électrique à Sing Sing au cours de l’été 1953. Aujourd’hui, les historiens ont démontré sans l’ombre d’un doute que Julius Rosenberg était bel et bien un espion ; il fut dénoncé par son beau-frère, le frère d’Ethel Rosenberg. Elle aurait pu se sauver, il n’y avait aucun élément de preuve à son propos mais elle préféra mourir avec son mari. Ils furent les seuls espions soviétiques condamnés à mort et exécutés aux USA pendant la guerre froide. Quelqu’un devait payer parce que depuis 1949, l’URSS disposait de la bombe atomique, grâce à ses savants mais aussi grâce à des scientifiques tel Fuchs qui avaient compris l’énorme danger résultant du fait que seuls les USA auraient disposés de l’arme nucléaire.
La guerre de Corée.
Nous estimions que l’agresseur était l’impérialisme américain. Nous méprisions les belges qui s’engagèrent dans le bataillon que notre pays mis à la disposition de l’ONU. Pour nous ce n’étaient pas les Coréens du Nord qui avaient agressés ceux du Sud mais une fois de plus une odieuse manœuvre des impérialistes américains.
Les Procès.
Aussi énorme que furent les soi-disantes révélations, nous acceptions comme toute la presse communiste de l’époque, de croire que de prestigieux dirigeants, des résistants courageux étaient des agents américains, des saboteurs. Il est effrayant de lire les articles des correspondants de la presse communiste française ou belge qui assistaient à ces parodies de justice. Les accusés étaient présentés sous un jour odieux, qu’il s’agisse de Rajk en Hongrie, de Slansky en Tchécoslovaquie ou de Kostov en Bulgarie…et de tant et tant d’autres sacrifiés au nom d’un centralisme bureaucratique incompréhensible dans son absurdité. Mais nous étions à ce point méfiants à l’égard des média capitalistes que nous étions persuadés que les Soviétiques ne pouvaient pas se tromper, que la vérité était toujours à l’Est. La plupart de ces procès ont eu lieu en 1949-1950, la concomitance ne troublait pas les communistes occidentaux. Comment était-il possible que en même temps tous ces dirigeants militants depuis des décennies, ayant risqué la mort pour le parti des dizaines de fois, devenaient brutalement d’ignobles traîtres ? Certains se posaient des questions, mais il faudrait plus de vingt ans pour que Dominique Desanti, correspondante de « Ce Soir », journal communiste parisien fasse son mea culpa, elle était à Sofia pour le procès Kostov…quant à lui, il avait été pendu comme tous les autres depuis fort longtemps. Une nouvelle fois la révolution dévorait ses enfants, comme en 1937-38, mécanisme atroce fort bien démontré par Anatole France dans « Les Dieux ont soif » Les temps devenaient obscurs, on s’enfonçait « dans le velours noir de la nuit soviétique » comme l’écrivit Ossip Mandelstam mort sur la route de la déportation au goulag.
Le rapport Kroutchov du 25 Février 1956.
Enorme coup de théâtre, totalement inattendu pour nous ! Bien sûr il y avait eu le procès Kravtchenko contre les « Lettres Françaises », les affirmations de David Rousset… pour nous ce n’étaient que sinistres affabulations fomentées par les officines américaines. Mais là, au cours de ce XXème congrès… ce fut un coup de massue, auquel d’abord on ne crut pas, c’était trop énorme. Lorsqu’il devint évident que le rapport avait bel et bien existé, la famille se divisa ; mon Grand-père suivit immédiatement la ligne officielle, l’un de mes oncles resta totalement stalinien, il l’était encore à sa mort en 1997 ! Mon père eut beaucoup de peine à accepter toutes ces atroces réalités, il n’accepta jamais qu’on rebaptisa Stalingrad qui restait pour lui le symbole de la résistance du peuple soviétique contre le nazisme. Il ne comprit pas la disparition de la momie de Staline du mausolée… c’était trop dur à avaler d’un coup. Mes parents lurent « Une Journée de Denis Denisovitch », l’image se troublait, le doute s’installait. Ils ne lurent jamais « L’Archipel du goulag » et conservèrent jusqu’à la fin de leur existence une méfiance à l’égard d’Alexandre Soljenitsyne.
Un incident scolaire.
A l’école, les discussions n’étaient pas rares, je ne mettais pas mon drapeau dans ma poche, prenant souvent le contrepied des affirmations de certains professeurs qui ne se privaient pas de commenter l’actualité. Je me souviens comme si l’incident datait d’hier de ce petit gros qui me court derrière place communale de Laeken, où j’allais prendre mon tram, qui arrivé à ma hauteur me donne un solide coup d’épaule tentant de me renverser, continue sa course en criant « sale communiste tu ne mérites pas la corde pour te pendre. » Les professeurs étaient heureusement plus subtils et certains, avec la prudence de mise pour les fonctionnaires, me faisaient comprendre qu’il m’approuvaient. Mais le fait d’être traité de sale communiste m’est resté en mémoire, symbole de l’atmosphère d’une époque. Plus tard, confronté à une résurgence de l’antisémitisme, je créerai avec deux ou trois condisciples le Front anti fasciste, le FAF, dont je possède encore quelques tracts. Pour ma famille, l’antisémitisme restait le meilleur marqueur du poids de l’extrême droite dans une société… sur ce point-là, jamais le moindre compromis, la moindre faiblesse ! Je lirai des dizaines de fois le poème de Evtouchenko à propos du massacre de Babi Yar où furent assassinés plus de trente mille juifs en 1941 ! Je fis partie d’un groupe de contre manifestants qui avaient tenté d’empêcher une réunion des néo fascistes dans la salle du Claridge à Saint Gilles… souvenirs douloureux car j’y ramassais quelques solides coups sur la tête…mais si les coups ne sont pas trop graves… ce genre de choc consolide fort bien les convictions.
1956… Suez… Budapest.
1956 fut une année de ruptures, commencée en Février par le rapport Kroutchov, suivie en été par la ridicule opération Franco-Israélo-Anglaise sur Suez et enfin elle se clôture en Octobre par l’invasion de la Hongrie par les troupes Soviétiques avec les conséquences que l’on connait… le point d’orgue étant l’exécution par pendaison d’Imre Nagy à qui le régime avait promis la vie sauve.
Une nouvelle fois, tous ces événements étaient chez nous décodés sous la stricte observance de la ligne de Moscou. La tentative d’occupation du canal de Suez était le dernier sursaut d’une politique de la canonnière qui avait fait son temps et à laquelle tant Moscou que Washington mirent fin sans bavure. Budapest fut beaucoup plus complexe parce que au départ ceux qui déclenchèrent les événements étaient communistes mais avaient de toute évidence rêvé un autre rêve. Ce fut la source d’une énorme hémorragie d’intellectuels tant en France qu’en Belgique qui alors quittèrent le PC ou cessèrent d’en être les dociles et trop naïfs compagnons de route.
La conquête spatiale…retour du prestige de l’URSS.
Depuis 1945, la propagande américaine, l’ensemble des média avaient contribué à faire baisser l’énorme prestige de l’URSS dans l’opinion publique occidentale. L’envoi dans l’espace en 1957 du Spoutnik fut un coup de tonnerre. Voilà que l’URSS décrite comme une société arriérée était capable de prendre la tête de la conquête spatiale. Le pavillon soviétique de l’Exposition universelle de 1958 faisait une grande place à la science et à la conquête de l’espace. Ce succès ne fut que le premier d’une série impressionnante, en 1961 Youri Gagarin devint le premier homme dans l’espace, succès inouï… le monde entier admirait à nouveau les Soviétiques…et nous, nous reprenions espoir… Budapest se voyait effacé. Plus tard, ce furent aussi les soviétiques qui envoyèrent la première femme dans l’espace, je me souviens de mon cri de joie entendant à la radio la réussite du vol de Valentina Terechkova.
Les noces d’or de mes Grands-Parents.
Le Parti communiste ayant désigné mon Grand-père en qualité de mandataire à l’Assistance publique, les festivités eurent un petit volet officiel, le Bourgmestre Cooremans, que je percevais assez distant, presque ennuyé, invita toute la famille à un vin d’honneur dans son prestigieux bureaux de la Grand-Place. Ce genre de cérémonie ne peut qu’embêter les jeunes qui n’y trouvent jamais leur place. Nous prenions un verre quand une dame d’un âge certain, bien mise, chapeau à voilette, lourdement maquillée, m’adressa la parole, ne sachant manifestement pas que j’étais le petit-fils du héros du jour : « vous savez quand on nous a annoncé qu’un communiste allait arriver au conseil d’administration de l’assistance publique, ( elle en était aussi mandataire ) nous avons eu peur… mais c’est un homme charmant, très gentil. » Je songeais que l’image que cette grande bourgeoise socialiste, il s’agissait de Madame Brunfaut, avait du communiste était restée l’homme du couteau entre les dents !
Une rencontre… Un ami.
Je devais avoir douze ou treize lorsque je fis la rencontre d’Albert Faust, déjà militant acharné, ayant chez lui une tribune nappée d’un feutre vert d’où il haranguait trois ou quatre copains à peine sortis de l’école primaire. C’est avec lui que je fis mon premier collage en partant en tram avec seau, colle et affiches. Tout se termina par une course effrénée avec la police aux trousses. Merveilleuse aventure. Nous ne nous quitterons plus… c’est toute une autre histoire, elle fut affective et politique et traversa le temps… chose rare.
Les Grèves de l’hiver 60.
Il y eut pas moins d’un million de grévistes, des morts, des charges de cavalerie, des coups de feu. Apprenant la mise à sac de la gare des Guillemin à Liège, je parvins avec la complicité de l’un de mes professeurs à provoquer une grève dans mon athénée. Je participais à une multitude de manifestions en compagnie d’Albert Faust actif aux jeunesses communistes. Au cours de l’un des multiples cortèges, je me retrouvai au côté d’un tout petit bonhomme déjà très âgé, il criait sans arrêt « Vive la République », il était le seul à la faire… peut-être se souvenait-il des heures de gloire de la question royale…excédé l’un des responsables de la manifestation le prit par le bras et le calma en lui précisant : « pas tout de suite camarade. » C’est à une autre manifestation que je pus juger du courage de la foule, lorsque je me retrouvai quasiment seul au milieu des chevaux de la gendarmerie chargeant pour dégager un bus que des manifestants démolissaient avec application.
Plus tard, Albert Faust me permit de participer à une réunion de la cellule du PC d’Etterbeek dont il était membre. J’y vis quatre ou cinq bonhommes qui je dois l’avouer m’apparurent fort ennuyeux.
La décolonisation.
Il va de soi que nous l’espérions, l’encouragions… l’assassinat de Lumumba, les massacres perpétrés par les sbires de Mobutu manipulés par la Belgique et la Cia, faisait de nous une fois de plus des minoritaires. Je pleurais sur le sort de cette population africaine victime pendant des décennies de la pire des exploitations, à qui maintenant on refusait son autonomie. Le discours de Lumumba du 30 Juin 60, nous parut extraordinaire, pour la première fois un Africain disait la réalité vécue devant un aéropage d’autorités emplumées, amidonnées, qui n’en croyaient pas leurs prudes mais très sélectives oreilles…
Ce fut tellement énorme que Baudouin se fit voler son sabre… tout un symbole.
En 1964, je suis à l’université, le gouvernement lance l’opération de Stanleyville pour sauver les otages prisonniers des Mulélistes. Je participe à une manifestation de protestation, on se réunit place Flagey, nous sommes une petite trentaine…après quelques minutes d’attente, surgissent deux à trois cent contre manifestants hurlant « à mort les cocos… les cocos à Moscou »… seule, mais fort peu reluisante solution, la fuite éperdue ! Oui, pas de doute, nous n’étions pas raccord avec l’opinion de la majorité des belges.
L’Université.
Je suivais avec passion les cours de Jean Stengers, notamment celui sur l’histoire du Congo. Nous étions cependant quelques-uns à considérer que son cours ne tenait aucun compte des concepts du matérialisme historique. A différentes reprises, nous manifestions et jetions des tracts dans lesquels on lui reprochait une conception trop conservatrice de l’histoire. Je nous revois aussi en Octobre 1964 attendant l’annonce par Radio Moscou du limogeage de Kroutchov puis ce fut la montée au pouvoir de Brejnev et le retour à la glaciation. L’invasion en août 1968 de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie…incompréhension générale face à une occupation mettant fin à la tentative d’instauration d’un socialisme « à visage humain ». Dubcek et Swoboda, les initiateurs de ce mouvement étaient des communistes sincères, percevaient parfaitement qu’on arrivait rapidement au fond de l’impasse. La famille essayait de concilier ce qui devenait inconciliable et Aragon menaçait de se suicider…
ce qu’il ne fit pas ! Le temps a passé, la vie professionnelle m’a absorbé, mes opinions se sont largement nuancées, le monde a changé, l’URSS a évolué. Je fis différents voyages en Pologne au cours des années quatre-vingt, la première fois pour inaugurer le bloc belge à Auschwitz, ensuite, en ma qualité de responsable du tourisme, pour tenter d’organiser un flux de tourisme social entre la Pologne et la Wallonie. Lors d’un de ces déplacements, c’était très vite après la prise de pouvoir par Jaruzelski, la situation était terrible, les magasins étaient vides…
le collaborateur qui m’accompagnait me fit remarquer que cette situation était intolérable, scandaleuse, et je m’entendis lui répondre… nous sommes en 1983… « ils n’ont pas de café, pas de chocolat…mais ils construisent le socialisme ». Il est vrai que c’était… peut-être… du deuxième ou du troisième degré mais quand même ma réponse avait quelque chose d’énorme face au chaos dont j’étais le témoin.
L’effacement du rêve.
Ainsi pendant quarante-sept ans, de 1944 à 1991, avons-nous assisté médusés à l’effacement du rêve. Nous n’avions pas compris que dans la célèbre formule biblique où il est question de « terre promise » ce qui était important ce n’était pas la terre mais la promesse. En 1991, le rêve faisait faillite sous nos yeux… mon père mourut cette année-là ! Mon Grand-père était mort en Mars 1982 ; il resta pendant longtemps le meilleur vendeur du « Drapeau rouge », il parcourait les Marolles avec son tambour et une vaste sacoche de postier bourrée de journaux… la disparition de mon père clôturait un cycle, fermait un chapitre de l’histoire… de la nôtre mais aussi de l’URSS qui s’effondra quelques jours après son enterrement. Il y a ainsi des dates où les destins individuels coïncident avec l’Histoire avec un grand H. A la fin de sa vie Aragon constatait « il n’y a pas que moi qui aie perdu mon image. Tout un siècle ne peut plus comparer son âme à ce qu’il voit. » Et encore, toujours Aragon, fidèle au PCF jusqu’à sa mort : « J’appartiens à cette catégorie d’hommes qui ont cru désespérément à certaines choses ; qui ont été comme le nageur qui se noie, mais toujours au-dessus de lui de la dernière force de ses bras élève l’enfant qu’il veut sauver contre toute vraisemblance. » Aragon n’a jamais eu d’enfant, cet enfant c’était sa foi communiste, son brulant désir de construire un autre monde plus juste, qui ne ressemblerait pas à une caserne dominée par un quelconque adjudant gardien du dogme sanglant, cynique et fou ! Oui, sans doute lui aussi avait rêvé un autre rêve ! Lui aussi avait cru que la victoire du socialisme était inscrite dans les livres d’histoires de l’avenir et voilà que l’histoire, l’histoire elle-même avait eu raison du rêve. A la fin du film d’Ettore Scola « Nous nous sommes tant aimés » l’un des acteurs dit à son ami « Nous voulions changer le monde et c’est le monde qui nous a changés. » Est-il vrai que les peuples qui ont la TV, regardent la révolution mais ne la font plus !
Embrigadement.
L’un des fils de Maurice Thorez a écrit dans les années septante un livre pathétique dans lequel il décrivait son éducation d’enfant communiste modèle, sage, pionnier exemplaire, vacance chaque année en URSS, stricte conformisme politique, social et bien sûr familial. Car, je l’ai déjà précisé, c’est toute la sphère de vie qui est marquée par ce genre d’éducation. Mes cousins seront élevés dans cet esprit et dans ce qu’il faut appeler un embrigadement. L’un d’entre eux fera en 1957 le voyage à Moscou pour les rencontres de la Jeunesse, un autre sera un pionnier obéissant, discipliné, chaque année passa ses vacances sur les plages de la mer noire en compagnie des enfants soviétiques, ma cousine fut élevée dans ce que j’appellerais le rite de stricte obédience, comme elle me le dit elle-même, c’était chemisier blanc, jupe plissée et socquettes blanches… les résultats scolaires devaient eux aussi être de strictes observances, si on est communiste ont doit être les meilleurs, les meilleurs en tout ! Faut-il préciser que cette éducation a pesé lourd dans le devenir de mes cousins, deux deviendront médecins, mais la rupture avec les parents fut inévitable et douloureuse, mais ils restèrent à gauche. Par contre, le plus discipliné, le plus présent dans les organisations, le plus « soviétisé »… est aujourd’hui ultra libéral de droite, rejetant avec horreur tout ce qui de près ou de loin peut ressembler à une vison de gauche. Moi, j’ai eu une énorme chance, mes parents n’ont jamais souhaité que je sois membre de quelque organisation que ce soit, ils estimaient que ces choix je devrais les faire moi-même. On l’a vu, toutes nos discussions, notre vision du monde était liée au communisme évoluant vers une appréciation plus nuancée mais toujours à gauche. C’est donc seul que j’avais décidé de m’inscrire aux Jeunesses communistes, comme me le proposait Albert Faust, c’est seul que je choisis de participer aux différents mouvements et manifestations de la grève générale de 1960. C’est au travers de la liberté que m’offraient mes parents, leur intelligence et surtout leur amour que j’entamais mon parcours dans la vie…et cela ce fut inappréciable. La transmission fut libre, rien n’était imposé… c’était le libre examen dans la famille… le rêve ! Malgré le fracassement de nos espoirs, le dévoiement horrible du plus pur des idéaux, moi non plus, je n’efface pas « d’un haussement d’épaule cette grande espérance. ». Bakounine, l’exclu de la 1er internationale de 1864 avait déjà compris que « la révolution présente toujours trois quart de fantaisie et un quart de réalité. La vie, mon ami, est toujours plus large qu’une doctrine. » Oui ! j’ai été victime de l’illusion lyrique, de ce socialisme rêvé, de ce socialisme du risque, de ce socialisme de l’action… je n’oubliais pas, étant chef de cabinet pendant 14 ans et Secrétaire général pendant onze, les mitraillettes de la question royale alors que pendant toute ma vie politique, je n’ai côtoyé que des socialistes de bureau qui ne songeaient que promotion, aménagement de bureaux, notes de frais, voitures avec chauffeurs. C’est pour cela que j’aime tant Albert Faust car il était l’homme aux semelles de vent, songeant encore paralysé sur son lit de martyr à se rendre à Berlin pour encourager et collaborer au renouveau de la gauche allemande !
Je termine en citant ce court poème d’Aragon, encore Aragon prince de l’ambiguïté, roi d’une lucidité mortifère mais empereur d’une foi inébranlable en l’homme :
« On sourira de nous pour le meilleur de l’âme
On sourira de nous d’avoir aimé la flamme
Au point d’en devenir nous-même l’aliment
Et comme il est facile après coup de conclure
Contre la main brûlée en voyant sa brûlure
On sourira de nous pour notre dévouement. »
Mes parents m’ont fourni la boussole, certes elle n’indique plus l’Est mais jusqu’à mon dernier souffle elle indiquera la Gauche !
Sens de l’histoire ou pas… L’homme avant l’idéologie… Les voix de l’espérance ne se tairont jamais… l’espoir, c’est ce qui meurt en dernier !
Hermanus Auguste Merry
Cercle Bob Claessens
30 Septembre 2017
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