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L’Histoire comme arme de destruction massive.

« Quelle lassitude blasée, quelle saturation de pensée abstraite se développe parmi les peuples les plus civilisés et les prépare aux déchainements de la barbarie. »  George Steiner

A quoi bon !  Qui cela peut-il intéresser ?  Je devine le peu d’appétence pour un texte sur un livre d’histoire… et puis comme me le dit souvent mon ami Willy, une fois de plus, je vais être prolixe. Pourtant, je ne résiste pas tant l’histoire et la façon de l’enseigner me semblent essentielles dans notre culture, dans notre civilisation.  Rien ne peut y être anodin, c’est la recherche de la vérité, ce n’est pas peu de chose !

Quelle joie fut la mienne de découvrir il y a une dizaine de jours que la première page de mon « Libération » quotidien était consacrée à un nouveau livre d’histoire, œuvre collective, réalisée sous l’autorité de Patrick Boucheron, professeur au collège de France.  ( Histoire mondiale de la France. Seuil )  Lecteur compulsif d’histoire, relisant constamment Jules Michelet, Furet, Mona Ozouf, Febvre,  Winock, Le Goff,  Veyne et de tant d’autres, je me jetai avec avidité sur les articles de « Libé » et du « Nouvel observateur » évoquant cet important ouvrage auquel ont participé plus de cent historiens.  Ces articles provoquaient chez moi une curieuse impression, presque un malaise.  En effet, sous le titre « Une autre histoire est possible », les journalistes Favre, Dauroux et Daumas après avoir résumé et expliqué la philosophie de ce livre, concluaient : « … ce nouveau récit est donc le bienvenu… il signe la rentrée en force de l’histoire dans le débat national. »

Bon !  Jusque là rien que de positif !  Là où le bât me blesse, c’est lorsque le professeur Boucheron, maître d’œuvre de l’ouvrage,  explique dans des interviews : « L’histoire nationale ne m’intéresse pas tant que ça, mais l’émotion de l’appartenance oui !  Il est inconséquent d’abandonner cette émotion qui a été compromise par l’histoire et le nationalisme » et de poursuivre « sans culpabilisation ni repentance, les cent vingt-deux historiens proposent sur le modèle de Jürgen Habermas de réinventer un patriotisme d’inspiration universaliste et ouvert sur la diversité, sur le monde », il conclut : « il serait bon de trouver quelque chose de pas indigne de dire notre manière d’être ensemble.  C’est l’histoire de France à venir. »

En conséquence, le concept de ce livre est d’englober l’histoire de France dans le vaste magma de l’histoire mondiale contemporaine des faits, des événements pour  les cent quarante-six dates évoquées.  Ainsi, s’agissant de moments marquants de l’histoire de France, il est question de ce qui se passe ailleurs au même moment sur notre planète… ce qui disparaît donc, c’est la spécificité française de l’histoire !

L’un des rares avantages de l’âge, si on dispose encore d’une solide mémoire, est de pouvoir mettre les faits en perspectives, de dégager des références oubliées par beaucoup.  Agé de seize ans, j’avais découvert enthousiaste, « L’histoire du monde » de Jean Duché, parue chez Flammarion en 1960, il y a donc cinquante sept ans !  Ce journaliste-historien, les deux professions sont-elles compatibles ? très marqué à droite, avait lui aussi voulu éclairer l’histoire de France à la lumière de l’histoire du monde, il est vrai, dans son cas, très ethno-centrée, sur la France.

Beaucoup plus près de nous, Pierre Nora avec ses trois volumes des « Lieux de mémoire » parus en 1984 chez Gallimard envisageait globalement l’histoire de France ou plutôt des Français dans leur globalité et leurs diversités.  Ceci pour souligner que la démarche globalisante est loin d’être neuve.  Mais envisager l’histoire de France en cent quarante-six dates, pour recentrer le récit historique sur « l’ailleurs », ça c’est nouveau, bien dans l’air du temps, superbement conforme à un politiquement correct toujours plus castrateur !  C’est comme si les faits de l’histoire de France ne pouvaient plus se comprendre qu’au regard de ce qui se passait ailleurs.  Cela n’implique pas que je veuille minimiser ou ignorer ce qui de par le monde faisait aussi l’histoire… une autre histoire.  Cette histoire là, telle que l’a voulue Boucheron répond à la formule de George Orwell : « Qui contrôle le présent contrôle le passé. »  Si l’on veut écrire l’histoire de France, c’est d’abord de la France dont il convient de parler !  D’où ma principale interrogation, d’où vient cette volonté de vouloir réduire, minorer ou quasi ignorer ce qui fait l’histoire de France… n’est-ce pas une façon insidieuse de nier l’identité d’un pays, la dissoudre, car je n’en doute pas, c’est bien de cela qu’il s’agit dans « une autre histoire », cela ne veut-il pas dire : «  non ! il n’y a pas d’histoire nationale, il n’y a ni roman, ni récit national, la France n’existe que dans un  immense « gloubli boulga » fabriqué par le maelstrom de l’histoire du monde !

Bien sûr, il ne s’agit pas d’en revenir à Augustin Thierry, Guizot ou même au célébrissime Mallet-Isaac qui a nourri des générations de collégiens de la IIIème république aux années soixante.  Mais il s’agit de ne pas nier, d’accepter, d’assumer et d’expliquer ce qui a fait l’histoire de la France.  Certains pourraient penser que ce sont là des querelles picrocholines, tout juste bonnes à enfiévrer quelques spécialistes chenus.  Non !  Méfiez-vous car si l’histoire est la politique d’hier, la politique d’aujourd’hui est l’histoire de demain !  Le discours historique est toujours éminemment politique et Patrick Boucheron dans ses différentes interventions ne s’en cache absolument pas.

Ce ne fut pas par hasard si Napoléon III finança les fouilles pour tenter de retrouver le site d’Alésia, pas un hasard non plus si Pétain et Vichy font de Jeanne d’Arc leur héroïne de référence ou si de Gaulle fait entrer Jean Moulin au Panthéon !  Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que les cours d’histoire avec les cours de langues sont les premiers outils de l’intégration !  Je ne fais évidemment pas référence aux stupidités proférées par Sarkozy mais j’ai en mémoire les propositions très récentes tout aussi ridicules et scandaleuses d’une députée socialiste bruxelloise essayant d’obtenir que les immigrés se voient enseigner l’histoire du pays dont ils sont issus tout en ignorant celle du pays qui les accueille… bonne chance pour l’intégration dans une telle perspective !

Il est évident qu’il est impossible d’enseigner l’histoire de France sans envisager l’histoire du reste de la planète,  de là à dissoudre l’histoire nationale, il y a une fameuse marge.  Or, c’est là le cœur de l’œuvre de Patrick Boucheron et de ses cent vingt-deux collègues.  Là est le danger principal, gommer les spécificités nationales au profit d’une ouverture de focale si large qu’elle conduit à oublier, à nier le centre pour la périphérie.  Pourtant Jules Michelet écrivait déjà en 1864 : « Les âmes de nos pères vibrent en nous par des douleurs oubliées, à peu près comme le blessé souffre à la main qu’il n’a plus. » Si on englobe tout, on ne voit plus la terre où nos pieds sont enracinés.  Mon dieu… mon dieu, je prends conscience que j’ai osé le gros mot… « racine ! »

Aujourd’hui, c’est quasi une insulte, l’utiliser c’est me classer immédiatement à l’extrême droite, en rang aux côtés des quelconques Barrès, Péguy … Déroulède et son ignoble clairon appelant à la boucherie de 14.  Non !  L’insulte, c’est de dénier à quelqu’un le droit d’avoir des racines, d’être l’ultime bourgeon d’un vaste, d’un gigantesque arbre de l’histoire… de son Histoire !  Certains, en viendraient presque à nous imposer que tous les peuples ont des racines, sauf ceux d’Europe occidentale, ces immenses coupables, ces galeux de l’histoire, à qui on impose l’impérieux devoir d’oublier les leurs !  Boucheron y a bien sûr pensé puisqu’il écrit : « …sans repentance, ni culpabilité… »  non bien sûr, ce où conduit cette « autre histoire », c’est à l’oubli d’une chose essentielle l’universalisme de la révolution de 89, l’universalisme des Droits de l’Homme, source de toutes nos libertés, politiques, économiques, sociales et  humaines, libertés sur lesquelles reposent, n’en déplaisent aux « déclinistes », notre civilisation !

Moi, j’en reste à Michelet quand il écrit : «  Vous n’êtes pas une nation seulement, vous êtes un principe politique.  Il faut le défendre à tout prix.  Comme principe il faut le vivre.  Vivez pour le salut du monde. »  On est loin du repli identitaire, au contraire Michelet définit… rêve d’une France ouverte sur le monde qu’elle irradie des principes de liberté.  Relisez, une, deux, trois fois la citation de Steiner en exergue à ce texte et vous conclurez que décidément… Oui !  Cela mérite d’être défendu à tout prix !  Car, comme l’écrivait Jérôme Bimbenet : « Il est des temps dans l’histoire où il n’est plus permis d’être aveugle, où d’autres choses sont plus importantes que l’art ou l’esthétique. »

La démocratie est mal partie

François Mauriac écrivit dans son célèbre « bloc-notes » : « en politiques tout va toujours mal » ;  en le paraphrasant, je dirai qu’en démocratie tout va toujours mal… le problème c’est qu’on ne le comprend pas !  En fait, quoi de plus normal dans un système démocratique que de contester les politiques menées, les uns sont pour, les autres sont contre et ceux qui restent sont contre tout ce qui est pour !  A mes yeux, rien de plus sain, rien de plus normal que ces contestations même si souvent la mauvaise foi est l’ingrédient majeur de l’étrange mayonnaise politique.

Mais sait-on de quoi on parle quand on évoque la démocratie ?  Je ne ferai pas injure aux lecteurs en rappelant la formule de ce bon vieux Winston, bien plus représentative de la démocratie est sa glorieuse défaite aux élections de 1945 où il est, lui le dernier des lions, remplacé par Clément Attlee, dont le féroce Churchill disait « une voiture vide s’arrête devant le 10 Downing street, Attlee en descend. »  Plus de deux millénaires plus tôt Périclès affirmait lui aussi qu’Athènes était une démocratie, il n’oubliait « que » les femmes consignées dans le gynécée dont elles ne sortiront qu’en 1948, et les esclaves qui n’étaient que des « choses qui parlent.  Il y a donc un monde entre la démocratie formelle et la démocratie réelle telle qu’elle existe aujourd’hui.  La démocratie en tant que système politique ne peut se réduire aux droits électoraux et au fonctionnement du parlementarisme.  Il s’agit d’un ensemble beaucoup plus vaste, de pouvoirs et surtout de contre pouvoirs, d’acteurs sociaux, de groupes d’opinions, ces éléments étant liés par des valeurs communes, là est l’essentiel.

Après la deuxième guerre mondiale, c’est ce système qui a été mis en place en Europe occidentale, constituant enfin une démocratie, certes imparfaite, mais permettant aux citoyens de disposer de droits et de protections jamais obtenues jusqu’alors.  Liberté politique, liberté religieuse, liberté d’entreprendre, protection sociale étendue, accès à l’enseignement pour tous… la liste est longue !  Or, depuis une trentaine d’années ce système est en grand danger.
Nos démocraties sont prises en étau, elles sont phagocytées par la mondialisation, la désindustrialisation, la financiarisation de l’économie, le chômage de masse d’une part et d’autre part remises en cause par ceux, qui ayant abandonné l’espoir d’un quelconque messianisme politique,  exige le retour à une religion moyenâgeuse.  Je pense avec l’historienne Mona Ozouf que notre civilisation a perdu deux notions constitutives de ses valeurs, deux axes sans lesquelles notre système ne peut subsister, à savoir l’Avenir et le Progrès.  Il est vrai qu’après Auschwitz, il fut difficile d’envisager ces concepts essentiels comme le faisaient naïvement les positivistes du XIXème siècle.  Quand Victor Hugo écrivait « quand on ouvre une école, on ferme une prison » il ne pouvait imaginer que le peuple dont l’humanité entière encensait les philosophes allait mettre en œuvre la solution finale.  A cette première perte de confiance dans l’avenir s’est ajouté un discours eschatologique constitué de peur millénariste, de méfiance à l’égard du progrès, de doute sur le rôle de l’homme sur notre planète…le tout débouchant vers un très fructueux  business de la peur.  Un éphémère candidat écolo à la présidence de la république française proposa benoîtement de taxer les familles qui avait un  deuxième enfant, jamais on avait été plus clair quand à la méfiance envers l’avenir, envers l’homme.  Quant au sympathique René Dumont, lui aussi candidat à la présidentielle en 1974, il buvait un verre d’eau à la télévision, expliquant que ce geste si simple ne pourrait plus être fait dans vingt ans !  Curieux qu’on ne rappelle jamais cette fausse prévision apocalyptique.  Normal, elle n’est pas politiquement correcte, ne cadre pas avec la « bien-pensanse » !

En 1991, le rêve communiste, qui depuis des lustres n’était plus qu’un atroce cauchemar, s’effondrait victime de ses mensonges, de son incapacité de donner un avenir aux peuples qui lui étaient, pour leur plus grand malheur, soumis.  Certains, n’hésitant pas à écrire que l’humanité était arrivé à la fin de l’histoire, prédiction aussi étonnante que stupide.  Nous rentrions dans une autre histoire, voilà tout !  Nous allions être condamné à vivre dans le monde où nous vivons comme l’écrit si justement François Furet dans son mémorable  « Passé d’une illusion. »  Pourtant beaucoup de ceux qui alors avaient perdu leurs certitudes, conservaient au creux de leur cœur de stimulantes illusions… Ne faut-il pas mieux en avoir plutôt que de sombrer dans l’absolue, stérile, désespérance !

Confrontés à la déconfiture économique, à une courbe du chômage toujours ascendante, 1973 nonante-quatre mille chômeurs complets pour plus de cinq cent mille aujourd’hui, certains sont tentés de quitter les rives rassurantes des démocraties pour tenter… autre chose.  Philippe Moureaux, ministre d’état, cador du PS  bruxellois et fédéral, lançant un groupe de réflexion n’hésite pas à se référer à Alain Badiou, philosophe de quatre vingt ans, dernier thuriféraire de Mao remettant en cause la démocratie telle que nous la connaissons.  Inquiétant et symptomatique des errances d’une certaine gauche ; je ne peux m’empêcher de penser à propos du promoteur de ce groupe de réflexion à la phrase d’Arthur Koestler qui me semble particulièrement appropriée quand il dit : «  le désir de faire de la politique est habituellement le signe d’une sorte de désordre de la personnalité et ce sont ceux qui ambitionnent le plus ardemment le pouvoir qui devraient en être le plus soigneusement à l’écart. »

A l’autre bout du spectre a surgi un adversaire, de loin plus redoutable, que les pathétiques enfants perdus du gauchisme, « maladie infantile du communisme » écrivait ce « grand démocrate » Lénine.  Je veux parler du populisme, au pouvoir en Hongrie, en Pologne, aux portes du pouvoir en Autriche, en France, présent dans le discours du candidat Trump et pire encore dans ceux de Nigel Farage et Boris Johnson qui lors de la campagne du Brexit n’hésitera pas à proclamer qu’en votant pour le retrait de la Grande-Bretagne de l’UE « les Anglaises auraient de plus gros seins et leur mari pourrait s’acheter une plus grosse BMW. »
Énorme mais vrai !  Oserai-je supposer que c’est à Eton ou à Oxford qu’une argumentation de cette qualité lui a été inculquée ?  Le populisme, nouvelle formulation de ce vieux poujadisme, qui permit à Le Pen de se voir le plus jeune élu de la République dans les années cinquante, a donc refait, avec succès, sa réapparition.  Le populisme, c’est votre chauffeur de taxi qui vous engueule à propos de tout et de rien, satisfait de rien, qui trouve que tout va mal, que le temps est mauvais, que le prix des tomates est trop élevé, que le les voiries sont mal entretenues, que les clients ne laissent pas de pourboire, tout et n’importe quoi !   Récriminations sur tout !  On reconnaît le vocabulaire de Trump ou de Beppe Grillo dont le parti dirige depuis quelques semaines deux grandes villes italiennes.  De fait, comme l’écrivit récemment un politologue de l’ULB  « nos vielles démocraties craquent de partout. »  Le pacte rousseauiste est ignorée par les uns, remis en question par les autres.  Ici ou là, on évoque un parlement qui serait très au sort ou dont certains membres le seraient. On connait déjà depuis longtemps les ASBL dont les membres sans aucune légitimités démocratiques électives qui se sont institués « pouvoir de contrôle de la démocratie » mais dont personne ne juge de la composition, seule chose importante pour elles c’est d’obtenir des subsides permettant de faire vivre l’institution ainsi créé et, avec l’argent du contribuable, sans la moindre base légale, contester à tout va les projets ou les réalisations, des autorités publiques dûment élues.

Je ne peux m’empêcher de me souvenir que l’un des grands rêves du Roi Baudouin Ier était de mettre sur pied un gouvernement de techniciens, ou de « douze hommes en colère »  libéré du « boulet » parlementaire.  Il ne manqua pas de suriner ce projet à ses visiteurs pendant quinze ans, certains l’écoutant d’une oreille intéressée, frappés sans doute du syndrome  « De Man » qui en 1940, président du POB ( ancêtre du PS ), se lança dans la mise sur pied d’un régime fort, bien dans l’esprit du temps, tel que le souhaitait Léopold III… On sait comment l’entreprise se solda !  Le trône branla, la République pointa timidement le bout de son nez.  On entend aussi parler de la suppression de ce qu’on appelle pudiquement les corps intermédiaires, qui bloqueraient les réformes empêchant notre société d’évoluer vers plus de compétitivité !  Bien voyons !  Mais c’est bien sûr !  Supprimons les syndicats, les organismes sociaux,  replongeons avec délice (pas pour tous) dans un Etat du XIXème siècle, où l’accumulation primitives des richesses se pratique sans entraves, revenons à la politique du « renard libre dans le poulailler libre »   Réapparaît avec la vague populiste l’idée du référendum, le peuple le vrai, celui que Degrelle appelait « le pays réel » aurait ainsi voix au chapitre, il pourrait s’exprimer. Étonnant oubli de l’histoire, le référendum a toujours été une forme de plébiscite ; c’est le premier choix des dictatures, l’illusion, jeté en épais brouillard aux yeux des citoyens pour leur faire croire qu’ils décident… enfin !  Rien de plus faux !  Le référendum, c’est l’émotion avant la raison, c’est l’exacerbation d’un présent mal compris, c’est un cri de puissance qui masque une réelle impuissance, qui précède la captation du pouvoir par celui qui aura posé la question.  Ainsi, si le sujet n’était pas aussi dramatique, on éclaterait de rire à la lecture de la question qui sera posé en Octobre aux Hongrois sur l’immigration… impossible de répondre négativement à ce que souhaite Orban.  Le récent référendum sur le Brexit démontre bien quelles ambiguïtés recèlent cette pratique, de fait contraire à la démocratie.  On objectera, on le fait toujours, l’exemple Suisse.  Un leurre de plus, la Suisse compte vingt-six cantons dont certains ne sont habités que par quelques milliers d’habitants… et puis souvenons-nous que dans certains de ces sympathiques, fleuris  et si propres cantons, les femmes, par référendum se sont vus refusées le droit de vote jusqu’il y a peu !  Dans le dernier des cantons, les femmes attendrons 1990 pour pouvoir voter !

N’en doutons pas, les mêmes causes produisent les mêmes effets, le chômage de masse, la perte de confiance dans l’avenir, la décrédibilisation du personnel politique, c’est Weimar 1933, cela pourrait être partout en Europe dans les années qui viennent.  A cette toile de fond peu réjouissante, c’est ajoutée depuis une vingtaine d’année la mise en cause directe, brutale, sanglante des valeurs de notre civilisation.  Le monde Arabe, ayant perdu l’espoir communiste, ayant subi les dictatures nationalistes peintes aux couleurs d’un socialisme baassiste monstrueux, se lance à corps perdu dans une immersion religieuse moyenâgeuse.  Mettant en cause globalement les valeurs de l’occident, ils ont déclaré une guerre à tout ce qui ne se soumet pas à leur vision du monde.   Ceux qui pendant des années ont nié ce phénomène, ont nié le remplacement de la population de certains quartiers de villes européennes, ont nié le choc de civilisation qu’Huntington avait déjà conceptualisé dans les années nonante, ceux-là on refusé de voir le réel, ce que Prévert appelle «  les terrifiants pépins du réel. »  Il est vrai qu’on perçoit moins bien le remplacement de la population à Woluwe-Saint-Pierre ou à Lasnes.  Il en est cependant qui, marqué par une culpabilité post coloniale, alliée à une haine de soi, sont près à se soumettre et de compromissions en compromissions liquident une à une nos valeurs fondamentales… La laïcité, à quoi bon en parler, elle n’existe pas vraiment en Belgique, elle ne figure pas dans la constitution, l’égalité Homme/femme… à quoi bon la mettre en avant alors même que des disparités économiques existent encore… le voile dans les services publics… mais pourquoi pas, chacun doit pouvoir exprimer librement sa foi.  Fil après fil, c’est la trame des valeurs, de nos valeurs acquises après des siècles de lutte contre l’obscurantisme, qui se déchire.  Cela avec le consentement complice de ceux qui ne voient apparemment aucun inconvénient à faire d’un élu un Vice–Président du Parlement Bruxellois alors que cet élu participait à Anvers à une manifestation dont l’un des slogans était « les juifs dans le gaz »… vous avez dit Valeurs !  Voilà un exemple qui mieux qu’un long discours permet de comprendre pourquoi notre civilisation a perdu confiance en elle-même, en ses valeurs, voilà pourquoi le discours culpabilisant est aujourd’hui dominant.

La pire des choses, c’est la démocratie veule, celle de Munich qui trahi les démocraties, celle qui laisse crever la République espagnole de 1936… On sait le prix qu’il a fallut payer pour réparer ces dramatiques erreurs.  L’histoire le démontre tragiquement, la démocratie molle est le chewing-gum de la dictature, elle la mâche, semble y prendre goût, mais le sucre ayant disparu, elle le crache au mieux dans le caniveau… ou elle le colle sous un pupitre du Parlement bruxellois.  Nous ne disposons pas de trente-six solutions.  La seule qui vaille trouve son fondement dans la foi intransigeante en nos valeurs, dans la défense absolue des droits de l’homme et du citoyen, dans le refus catégoriques de toutes révisions de ses droits, dans le respect de la laïcité.  Notre démocratie doit être défendue parce qu’elle seule nous offre des n’existant pas ailleurs… que certains parmi nous, par bassesses électoralistes, sont prêts à brader.   Rappelons nous que dans les années trente, la France, la Belgique, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves ont résisté à la vague fasciste.  Il s’agit aujourd’hui de résister comme Londres l’a fait sous les bombes allemandes, recourir à la résilience, sans rien céder de nos libertés, sans rien admettre de ceux qui veulent transformer notre société… Et surtout, surtout, car là est notre futur, grâce à un enseignement revalorisé tant au plan de ses moyens budgétaires, qu’au niveau de la rémunérations des maîtres, permettre aux enfants d’aujourd’hui, citoyens de demain, de jeter sur le monde un regard instruit !  Ce sont ces regards instruits qui constitueront le rempart de la démocratie, le rempart de nos valeurs.

Hermanus, Auguste Merry
Article paru dans le trimestriel de la Fédération des Amis de la Morale Laïque, mars 2016.